Ludifier le cours de langues pour motiver les élèves

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La ludification (ou gamification en anglais) consiste à se servir des mécanismes du jeu afin d’accroître la motivation des élèves dans une situation d’apprentissage et limiter la peur de l’échec. Autrement dit, ludifier n’est pas jouer. Dans le contexte scolaire, le professeur utilise le jeu à des fins pédagogiques.

Lorsqu’un jeune joue à un jeu vidéo, il peut y passer des heures, jusqu’à ce qu’il perde : game over. Pourtant, cet échec ne l’empêchera pas de recommencer et de tenter une nouvelle stratégie pour contourner l’obstacle qui se dresse devant lui.

Dans une situation d’apprentissage, rares sont les occasions où l’élève, devant ses erreurs, souhaite de lui-même tout recommencer afin de s’améliorer. Au contraire, si trop d’erreurs sont relevées, il risque de se décourager et de se renfermer dans une image négative de lui-même. Cela est particulièrement vrai dans l’apprentissage d’une langue étrangère, où l’élève doit apprendre à s’exprimer face à l’autre, ce qui n’est pas chose aisée quand on est adolescent. Afin de surmonter cette peur du ridicule, cette appréhension à se dévoiler face à l’autre, il est intéressant d’utiliser certaines stratégies relevant des concepts du jeu.

Yu-Kai Chou, conférencier, auteur et expert en ludification, a créé un modèle, l’octalysis, définissant les huit moteurs de la motivation :

1) Appel à l’action et sens épique : le sens épique donne au joueur l’impression d’avoir été choisi pour accomplir une mission importante.

2) Développement et accomplissement : l’accomplissement consiste à développer des compétences pour atteindre un but.

3) Libération de la créativité et retour d’expérience : il s’agit d’essayer, de recommencer différemment en utilisant sa créativité et en analysant les raisons d’une victoire ou d’un échec.

4) Acquisition et possession : l’acquisition consiste à s’attacher à ce que l’on possède et à vouloir posséder davantage.

5) Influence sociale et appartenance : la dimension sociale réside dans le fait d’appartenir à un groupe et de ressembler aux autres.

6) Rareté et impatience : la rareté consiste à vouloir obtenir quelque chose de rare.

7) Imprévisibilité et curiosité : l’imprévisibilité consiste à se demander ce qui se produira dans le prochain épisode ou dans le prochain chapitre. Tout peut arriver.

8) Évitement de la perte : l’évitement est le fait de ne pas vouloir perdre tout ce qui a été obtenu après un dur labeur.

Yu-Kai Chou classe les facteurs de la motivation en plusieurs groupes en distinguant deux types de motivation. La motivation est intrinsèque lorsque la personne trouve les ressources suffisantes en elle pour se motiver. La motivation est dite extrinsèque lorsque la personne a besoin d’une récompense à la clé pour accomplir une tâche. C’est précisément sur cette motivation que nous agissons lorsque nous nous servons de la carotte de la note pour que les élèves réalisent le travail demandé. Les autres ressorts présentés par Yu-Kai Chou peuvent facilement être mis en place en classe avec ou sans outils numériques.

J’ai mis en application les huit ressorts de Yu-Kai Chou dans le projet scolaire mené en 2015-2016, intitulé Leonard District. Il s’agit d’une ville imaginaire tenant son nom de mon collège. Mes élèves de 4e et de 3e avaient pour objectif de collaborer avec d’autres élèves en France et aux États-Unis afin de progresser dans leur parcours d’apprentissage représenté sous la forme d’un itinéraire à suivre dans une île virtuelle nommée Flanders Lane.

 

Comment introduire une dimension épique dans sa séquence ?

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Le premier moteur de la motivation peut facilement être mis en place dans une séquence quand on demande aux élèves d’accomplir différentes missions dans l’objectif d’atteindre un but précis. Il peut s’agir de retrouver un trésor ou d’atteindre un lieu. Prenons l’exemple du projet intitulé Leonard District. Leonard District est un quartier d’une île imaginaire existant sous forme de carte interactive. Pour créer une carte interactive, il suffit d’utiliser une carte et d’y ajouter des puces de couleur avec un outil comme thinglink ou genial.ly. Les puces permettent de renvoyer vers d’autres sites web.

 

Comment développer la dimension sociale dans une séquence ?

Afin d’atteindre ce lieu idyllique, les élèves sont organisés en groupes : les habitants, les touristes et les journalistes. Cette organisation donne à l’élève l’impression d’appartenir à un groupe. Pour créer des cartes de rôle, le site bighugelabs permet de générer en quelques secondes ses propres cartes à partir de photos ou d’images personnelles.

Ce sentiment d’appartenance à un groupe peut être créé ou renforcé par l’utilisation d’un LMS (Learning Management System, plateforme de gestion des apprentissages en ligne) permettant à l’enseignant de créer des parcours d’apprentissage et de suivre les travaux de ses élèves. Parmi les nombreux outils disponibles, j’ai choisi Seesaw. Ce service multi-plateforme gratuit permet aux élèves de communiquer, de collaborer et de réagir à ce qui est publié, puisque Seesaw fonctionne comme un réseau social. Les élèves peuvent indiquer par un "like" qu’ils ont apprécié une publication qui peut être un lien vers un site, un texte, une photo de leur travail réalisé sur une feuille ou une vidéo par exemple

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Qu’est-ce que l’accomplissement et la créativité dans une séquence d’activités ?

En fonction du rôle qu’ils endosseront, les élèves devront réaliser différentes activités langagières pour progresser dans la séquence. Ainsi, pour rejoindre Leonard District où les attendent leurs correspondants américains, les élèves doivent compléter un questionnaire de citoyenneté créé par leurs camarades avec Google form et visant à vérifier leurs connaissances sur les Etats-Unis.

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Pour réussir l’épreuve du questionnaire, les élèves doivent se renseigner sur différents domaines : la géographie, l’histoire des États-Unis, la politique, le sport, le style de vie, etc.

Les élèves français créent à leur tour un questionnaire de citoyenneté française pour découvrir les intérêts culturels des Américains. Pour créer un bon questionnaire, les élèves doivent mutualiser leurs questions sur un mur virtuel, padlet. Cela facilite l’inter-correction et la correction du professeur. Ils se sentent prêts à poser des questions, puisqu’ils se sont entraînés en amont, auto-corrigés et inter-corrigés. Ce retour d’information est ce que l’on appelle également le feedback, qui permet de renforcer le sentiment de compétence de l’élève. C’est en comprenant ce retour d’information que l’élève peut progresser. Pour vérifier la bonne compréhension d’un document par exemple, un site comme quizizz permet aux élèves de vérifier ce qu’ils ont compris de façon ludique. Chaque élève dispose d’un avatar. Pour chaque question, une réponse est donnée avec une explication. A la fin de l’activité, les avatars des élèves sont classés. Pour améliorer leur classement, les élèves tentent à plusieurs reprises l’activité de compréhension écrite et mémorisent ainsi le vocabulaire et les tournures étudiés. Ce site présente l’avantage de permettre aux élèves de s’entraîner n’importe où et n’importe quand, dès lors qu’ils disposent du code pour accéder au jeu. Ce site ne nécessite aucune inscription de l’élève au préalable. Après avoir saisi le code du jeu donné par le professeur, l’élève commence une partie en prenant soin d’écrire son prénom pour que son avatar puisse être reconnu dans la classe.

 

Comment se servir du ressort de l’acquisition, tout en développant une notion de rareté ?

Accomplir correctement les tâches demandées permet de bénéficier d’avantages tels que des points bonus, du temps supplémentaire pour un travail demandé ou bien encore la possibilité de retirer une mauvaise note de sa moyenne. Ce privilège consistant à ne pas comptabiliser dans la moyenne trimestrielle une note qui aurait été mauvaise est un avantage précieux qui ne s’obtient pas facilement. Par ailleurs, il convient d’ajouter que les récompenses sous forme de bonus ou de badges doivent être distribuées de manière raisonnée, afin de ne pas tomber dans une récompense vide de sens et exclusivement tournée vers une motivation extrinsèque. Un excès de récompenses peut produire l’effet inverse de ce qui est recherché.

Le retour d’information peut également être donné sans que les élèves soient connectés grâce à un outil comme Plickers. Avec Plickers, seul le professeur dispose d’une application dédiée sur son appareil connecté, son smartphone personnel ou une tablette connectée au réseau wifi de l’établissement. Il scanne les réponses de ses élèves. Tous les élèves sont actifs en même temps, puisque chacun doit participer avec une carte de réponse. Le professeur peut alors mettre en place une remédiation immédiate.

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Comment ajouter une dose d’imprévisibilité dans une séance ?

Pour créer un sentiment d’imprévisibilité et inciter les élèves à être prêts au cas où ils seraient interrogés, une roue virtuelle peut être utilisée avec les prénoms de chaque élève. Ainsi, ce n’est plus le professeur qui choisit une personne à interroger dans la classe, mais c’est le hasard qui sélectionne une personne dans la classe. Cette roue peut aussi être utilisée pour poser des questions ou ajouter des activités non prévues pendant la séance.

 

Ces activités surprises peuvent être matérialisées sous forme de codes QR. Un code QR cache une information qui peut être un site web, une photo, un enregistrement audio, une vidéo, du texte, etc. Pour créer un code QR, on peut utiliser un outil spécifique tel que unitag. Ainsi, l’élève ne sait pas sur quoi il peut tomber. Il peut s’agir d’un bonus, de la correction d’un exercice, d’un support complémentaire, d’un devoir, etc.

En résumé, l’intérêt de la ludification consiste non seulement à rendre le travail des élèves plus attrayant mais surtout à lui donner un sens. Des élèves qui savent pourquoi ils travaillent s’impliqueront naturellement dans les apprentissages, ce qui aura une incidence positive sur l’ambiance du groupe et facilitera le rôle du professeur dans la gestion de classe. La posture du professeur change. Du face-à-face pédagogique, l’enseignant se retrouve en côte-à-côte avec l’élève pour l’aider dans l’accomplissement de ses différentes tâches.

 

Pour aller plus loin :

- L’octalysis et le travail mené par Yu-Kai Chou : http://yukaichou.com/gamification-examples/octalysis-complete-gamificat…

- Création de jeux par les élèves : http://www.learningapps.com

- Apprendre avec le jeu numérique : http://eduscol.education.fr/jeu-numerique/#/

 

Sur l'auteure :

Régine Ballonad-Berthois

 

Professeure d’anglais au collège Léonard de Vinci, Saint-Brieuc

Interlocutrice Académique au Numérique pour les langues vivantes de l’académie Rennes

Membre de l’association Inversons la classe, participante au 9e Forum des enseignants innovants, finaliste au colloque international e-éducation en 2016